Le revolver

Víctor Montoya

(Traduction: Henri Beser)

Le seul souvenir que je garde de mon adolescence, c'est un revolver Colt, chromé, calibre 38 que j'ai hérité de mon oncle. Il y avait aussi une cartouchière dont les courroies faisaient deux fois le tour de mon corps, moins musclé qu'aujourd'hui y plus osseux par les privations de la vie.

Pour tout dire, je dormais armé. Le matin, réveillé par les cris de ma mère, je jouais avec le revolver en le contemplant contre la lumière qui tombait de la fenêtre. J'étais obsédé par sa forme et son volume, sans comprendre comment un objet si merveilleux pouvait se transformer en une arme aussi dangereuse. Je caressais la culasse, faisais tourner le barillet contre la paume de ma main et pointas le canon contre ma tempe comme quelqu'un qui jouerait à la roulette russe.

—Ne braque pas cette arme contre toi! Ce n'est pas un jouet que tu tiens dans les mains!, —criait ma mère de l'autre côté de la porte—. C'est ainsi qu'ils ont fait avec ton oncle et ils l'ont tué. Un balle dans la tête a mis fin à ses jours.

Alors je retirais le revolver de ma tempe et le pointais vers la cloison en imaginant qu'une balle envoyait dans les airs le chapeau de mon adversaire. Ensuite je soufflais la fumée du canon et en faisant tourner l'arme autour de mon doigt comme un cowboy, je la rengainais dans son étui de cuir noir.

Parfois, sans même me mettre un pantalon, je m'approchais de la fenêtre. Je visais le premier piéton, je simulais avec la bouche la détonation des balles et déchargeais les six coups alors qu'à l'intérieur, dans la cuisine, on entendait la voix de ma mère qui comme tous les matins parlait toute seule.

Avec le temps, le revolver devint une amulette contre les dangers. En sa possession, je me sentais courageux et sûr de moi, jusqu'au jour où, alors que j'étais encore allongé dans mon lit, le revolver pointé contre ma tempe, j'appuyai par mégarde sur la détente et la balle me traversa de part en part. Le sang coula à flots et ma vie s'arrêta entre les parois de la poitrine.

Au retour du marché, ma mère, croyant que j'étais encore au lit visant le plafond avec la mire du revolver, avança la tête dans l'encadrement de la porte et dit:

—Il est l'heure d'aller à l'école…

J'entendis la voix comme dans un rêve, je m'agrippai au revolver comme un enfant serre son ours en peluche et me préparai à affronter la mort avec le revolver chargé par les mains du diable.

Ma mère agacée par mon silence entra dans la chambre. Mettant à l'épreuve son autorité et sa décision irrévocables, elle dit énergiquement:

—Arrête de jouer avec le revolver et de faire le mort!...

Mais, en voyant un filet de sang qui se perdait entre les lattes du plancher de la chambre, elle invoqua le ciel d'un cri, trembla comme de la gélatine et en sanglots répéta:

—Qu'est-ce que je t'avais dit?!.. Qu'est-ce que je t'avais dit?!…


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VÍCTOR MONTOYA es autor de Huelga y represión (1979), Días y noches de angustia (premio nacional de cuento otorgado por la Universidad Técnica de Oruro, 1984), Cuentos violentos (1991), El laberinto del pecado (1993), El eco de la conciencia (1994), Antología del cuento latinoamericano en Suecia (1995), Palabra encendida (1996), El niño en el cuento boliviano (1999) y Cuentos de la mina (2000). Dirigió las revistas literarias Puerta Abierta y Contraluz. Es coautor del libro de texto Cuentos de jóvenes y niños latinoamericanos en Suecia (1985). Obtuvo el premio de cuento breve del semanario Liberación, en 1988, y el primer premio de cuento de Escritores de la Escania, en 1993. Tiene cuentos traducidos y publicados en diversas antologías.
montoya [at] tyreso.mail.telia.com

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ILUSTRACIÓN RELATO: Galand velo-dog, By Ricce (Own work) [Public domain], via Wikimedia Commons.

▫ Artículo publicado en Revista Almiar (2002). Reeditado por PmmC en septiembre de 2019.

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    Revista Almiar (2002-2019)
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